15 février 2022

Retour à la maison

 

Lundi 17 janvier 2022. Moment tant redouté, imaginé, attendu … L’heure du départ a sonné. Après 14 mois en Antarctique, il est temps de laisser vraiment la place, de partir et retrouver une vie dite « normale ». L’ambiance est étrange au séjour, c’est le moment de se dire au revoir. Nous descendons à l’abri côtier pour ensuite monter dans le zodiaque le temps de traverser l’Anse du Lion afin de rejoindre le quai et l’Astrolabe. Après une petite visite guidée du bateau, et les derniers aux-revoirs, je me retrouve à attendre le départ du bateau. Ce moment me semble durer une éternité. Je quitte l’Antarctique, ce rêve que j’avais en tête depuis des années, je quitte les manchots, skuas, pétrels, fulmars et autres espèces que j’ai eu la chance de cotoyer pendant un an, et je quitte également quelques compagnons d’hivernage qui prolongent l’expérience pendant encore une voire deux rotations. C’était une expérience incroyable !

La traversée entre DDU et Hobart a duré cinq jours. La mer a été plutôt calme et je ne me suis pas retrouvée coincée dans ma banette sans réussir à avaler quelque chose. J’ai donc pu profiter de la traversée et j’ai pu faire de belles observations !

Après quatre jours à Hobart (en ne pouvant sortir de l’Astrolabe qu’une après-midi), et plus de 30 heures de vol, je suis finalement arrivée à Paris où j’ai retrouvé mes parents.

Je vous laisse avec quelques photos, pendant que je me réhabitue tout doucement à la vie métropolitaine.

Petits glaçons

Manchot Adélie au soleil couchant

Skua antarctique en repérage

Manchot à jugulaire

Plongeon synchronisé

Contrôle d'un damier du Cap (© I. Fernandez)

Jeune veau (s'il m'a pris pour sa mère, je suis légèrement vexée...) (© E. Obermeyer)

Damier du Cap

Pétrel des neiges en pleines vocalisations

Baguage d'un skua dans des conditions très confortables (© J. Allain)

Icebergs vêlés par le glacier de l'Astrolabe

Décollage massif de pétrels géants antarctiques

Albatros à sourcils noirs

Dauphin commun autour de l'Astrolabe

Hirondelle à Hobart

22 octobre 2021

Fin d'hiver


     L’hivernage touche désormais à sa fin. Le premier avion est prévu pour dans une semaine, et mettra ainsi fin à plus de 8 mois d’isolement loin du monde, dans notre monde à nous. C’est un mélange de sentiments contradictoires qui me traverse : envie de voir de nouvelles têtes mais en même temps un peu peur de l’agitation de ce changement. Une seconde campagne d’été va commencer et je vais de nouveau être prise dans ce tourbillon d’activités. Le travail va de nouveau être très (très) prenant, même si ça a déjà un peu recommencé. Je n’aurais pourtant pas exactement le même rôle que l’an dernier puisque je vais devoir passer le flambeau à mon successeur et ainsi le mettre dans de bonnes conditions pour son hivernage en lui montrant les lieux et les manips. L’Astrolabe quant à lui, est prévu autour du 21 novembre.

 
     En attendant, je n’ai pas le temps de m’ennuyer car en octobre, c’est la saison des phoques. Les phoques de Weddell viennent mettre bas dans l’archipel sur la banquise, dans des zones un peu fragilisées par les pressions (zones de rivières, de chaos, de failles etc...), car c’est là qu’ils peuvent sortir plus facilement de l’eau. Dans le cadre de mon programme, je dois les dénombrer, et également les transponder pour pouvoir les suivre individuellement d’une année sur l’autre (j’injecte une petite puce sous la peau qui me permet d’identifier le phoque lorsque je passe un lecteur à côté). C’est donc l’occasion pour moi et mes co-hivernants de faire de longues sorties sur la banquise pour chercher les phoques ... et rentrer bien fatigués le soir ! Les paysages et les animaux en valent vraiment le coup, et c’est l’occasion de faire de jolies photos.
Trois espèces en même temps, manchot Adélie, manchot empereur et phoque de Weddell

Halo solaire au-dessus de l'équipe "phoques" du jour

Octobre, c’est également le retour de presque toutes les espèces : pétrels des neiges, damiers du Cap, fulmars antarctiques, skuas antarctiques et manchots Adélie bien sûr, qui ont repris possession des lieux. Ne manquent que les océanites de Wilson qui devraient arriver début novembre pour les premières.

Je vous laisse sur cet article assez court mais avec des photos des dernières semaines.

Fulmar antarctique

Pétrel Géant Antarctique (appelé PGA ici, c'est quand même plus rapide)

Pétrel des neiges à l'atterrissage

Phoque de Weddell

Chaos où se trouvent souvent les phoques, dans le prolongement du glacier de l'Astrolabe

Un veau (ou un chiot), mais pas un phoquon

A la naissance, les veaux sont jaunes et le restent pendant quelques jours.


Poussin empereur peu farouche

Poussins empereurs et leur surveillant

09 septembre 2021

Alerte enlèvement à la manchotière

    Le mois d’août est passé à grande vitesse et nous voici déjà mi-septembre (à quelques jours près évidemment). Le printemps est presque là et bientôt ce sera le retour de toutes les espèces qui nous ont accompagnés lors de la campagne d’été. Le doux chant des manchots Adélie et des pétrels des neiges comblera nos oreilles dès le mois d’octobre, c’est-à-dire demain. Même s’il nous reste encore près de deux mois d’hivernage, nous commençons tous à penser au retour et à nos futurs projets, car pendant la campagne d’été, nous n’aurons pas beaucoup de temps à y consacrer.

Manchot apprenant qu’il ne reste plus que deux mois d’hivernage

    Dans cet article, je voulais vous parler d’un comportement assez méconnu chez les manchots empereurs qui m’a occupée durant tout le mois dernier. Août n’est pas le second mois des vacances d’été pour les empereurs mais bien la saison des amours rapts. Et oui, ces oiseaux (rappelez-vous bien que ce sont des oiseaux même s’ils ne volent pas et que de loin, leurs plumes ressemblent plus à des écailles ou à des poils) ne supportent pas de ne pas élever de poussins. Bon, vous vous en doutez c’est un petit peu plus complexe qu’une simple envie d’avoir une progéniture sur ses pattes qui vous empêche de marcher correctement et « rapidement » (tout est relatif), et qui en plus réclame à manger régulièrement alors que vous êtes en plein jeûne.

Un œuf-poussin ou un poussin-œuf prenant des forces

     Tous les individus de la colonie ne réussissent pas leur reproduction. Certains perdent leur œuf lors de la passation d’œuf avec leur partenaire, lors d’un déplacement ou lors d’une tempête. Ils peuvent aussi perdre leur poussin pour les mêmes raisons. Ces individus sont ainsi en échec reproducteur et se retrouvent sans rien sur les pattes au milieu de la manchotière. A la différence de nombreuses d’espèces d’oiseaux, les empereurs conservent un taux d’hormones élevé pendant une longue période car lors de leurs voyages en mer pour aller se nourrir, ils ne peuvent être stimulés par la présence d’un poussin qui permettrait de garder un taux d’hormones élevé (en particulier la prolactine qui est notamment liée à la reproduction et aux soins parentaux). Si l’on repart en mai : la femelle vient de pondre et passe l’œuf au mâle. Elle part ensuite en mer pour se nourrir et ne va revenir que deux mois plus tard. Son taux d’hormones est toujours très élevé, la « poussant » à revenir à la colonie nourrir le poussin qu’elle n’a encore jamais vu. Elle ne sait donc pas si son mâle a perdu l’œuf ou le poussin tout juste né. Si tel est le cas, il existe une forte probabilité pour qu’elle kidnappe le poussin d’un autre, probablement incitée par son taux d’hormones élevé et par une stimulation sociale due au fait que les manchots nichent en colonie sans territoire (la surface de leur territoire se limite à leurs pattes où ils gardent l’œuf ou le jeune poussin). Le principe est le même quand c’est ensuite le mâle qui part en mer.

    Cela donne lieu à des scènes parfois assez impressionnantes. Il peut y avoir des « petits » rapts impliquant seulement deux ou trois individus qui se poussent soit pour kidnapper soit pour protéger le poussin, mais il y a également des rapts impliquant dix, quinze, vingt manchots qui se poussent, se grimpent dessus, se donnent des coups de becs ou des coups d’aileron, formant ainsi une mêlée de rugby où le poussin serait l’équivalent du ballon, coincé en dessous, piétiné par tous ces adultes. 

Le calme avant la tempête

Petit rapt en duo

Un poussin-ballon au milieu de la mêlée

     Lors de ces événements, les adultes peuvent se blesser et j’ai régulièrement observé des manchots se promenant avec de jolies traces rouge sang sur le plumage. Quant au poussin, il peut parfois être blessé voire tué. Ce n’est pas toujours évident de connaître le devenir du poussin parmi tous ces adultes. Lorsque le rapt est réussi, le manchot rapteur finit souvent par abandonner le poussin quelques heures ou quelques jours après. L’intérêt évolutif de ce comportement pour l’espèce est toutefois encore inconnu.

Le rouge, une nouvelle couleur dans ces paysages blancs bleus et gris
(bon et aussi un peu orange avec les manchots)

        Petite vidéo d’un rapt pour vous donner un aperçu :

    Maintenant que les poussins deviennent indépendants thermiquement et qu’ils commencent à se mettre en crèche pour se tenir chaud, il n’y a plus de rapts (il y a bien quelques essais mais comme les poussins courent sur leurs petites pattes, cela ressemble plus à des courses poursuite qu’à des rapts : un poussin suivi par dix manchots adultes qui se promènent dans la colonie). Pour les curieux, voici un article (en anglais) sur les rapts des poussins empereurs: https://www.cebc.cnrs.fr/wp-content/uploads/publipdf/2006/AJEB209.pdf.

    Désormais, la colonie est un peu plus calme, ou plutôt ce n’est pas la même agitation. Il y a des petits poussins qui courent partout et des pétrels géants qui rodent et qui attaquent les petits empereurs pour se nourrir.

Des poussins indépendants

Coucou !

De gros poussins qui ne tiennent presque plus sur les pattes de leurs parents

Manchots avec manchots parmi les manchots

Confortable comme position pour la sieste non ?

 

Pétrel géant antarctique en plein déjeuner